Depêche diffusée par l’Agence France Presse (AFP) : Justice-prison. L’inflation carcérale n’est pas une fatalité, selon le criminologue P. Tournier. TROIS QUESTIONS A…
PARIS, 10 mai 2004 (AFP) – Le criminologue Pierre V. Tournier, directeur de recherches au CNRS, estime que l’inflation carcérale « n’est pas une fatalité » alors que le ministre de la Justice Dominique Perben a estimé ce week-end que le nombre de détenus ne baisserait pas en annonçant un nouveau record de surpopulation début mai de 62 902 détenus pour environ 49 000 places.
Q : Partagez-vous l’analyse du Garde des Sceaux selon laquelle « la population carcérale française ne baissera pas » ?
R : « L’absence de volonté politique pour lutter contre l’inflation carcérale est avouée, sans embage. Il n’y aurait donc rien à faire.
M. Perben semble ignorer la recommandation du Conseil de l’Europe du 30 septembre 1999 sur le surpeuplement des prisons, orientations confirmées en septembre 2003 par une recommandation sur la libération conditionnelle.
La loi française du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence avait montré la voie. On peut évidemment lutter contre l’inflation carcérale, ce n’est pas une fatalité, encore faut-il le vouloir ».
Q : D’après Dominique Perben, cette augmentation résulte d’une meilleure exécution des peines. Que pensez-vous de cette interprétation ?
R : « A ma connaissance, il n’existe pas, en France, d’outils statistiques permettant se suivre précisément l’évolution de la mise à exécution des peines.
En outre, les chiffres pénitentiaires ne permettent pas de poser un tel diagnostic. Au cours de l’année 2003, le nombre de personnes écrouées est passé de 55 407 (1.1.2003) à 59 246 (1.1.2004). Le nombre d’entrées en 2003 a légèrement baissé par rapport à 2002 (81 533 au lieu de 81 905). En revanche le durée moyenne de détention est passée de 7,6 mois en 2002 à 8,4 mois en 2003. C’est cette croissance de la durée qui explique l’évolution de la population carcérale en 2003.
Q : L’Administration pénitentiaire a récemment changé sa base de calcul de la population carcérale, qu’en pensez-vous ?
R : « Le 1er février 2004, elle a retranché des effectifs les condamnés placés sous bracelet électronique. Le 1er mars 2004, elle a retranché les condamnés faisant l’objet d’un placement à l’extérieur sans hébergement dans un établissement pénitentiaire. Dans le but, semble-t-il, de calculer des taux d’occupation plus justes ! Depuis bien
longtemps, la population carcérale est évaluée en comptant le nombre de personnes placées sous écrou.
J’ai mis en place pour le Conseil de l’Europe la statistique pénale annuelle européenne (SPACE), c’est la présence juridique qui a été prise comme référence.
Avec ces changements, les comparaisons dans le temps, mais aussi dans l’espace européen seront impossibles ».